Quelles interfaces pour les voitures de demain ? (2/3)

le 29/10/2012 par Philippe Prados
Tags: Software Engineering

Dans le volet précédant, nous avons identifié les différentes approches prises par les constructeurs pour proposer Internet dans les véhicules.

Dans ce deuxième volet, nous allons nous intéresser aux spécificités ergonomiques des applications embarquées dans un véhicule.

Est-ce une simple tablette figée sur le tableau de bord ?

Ces technologies ne doivent pas être assimilées à de simples tablettes. Les applications doivent être adaptées à cet usage particulier qu’est un véhicule. Ni tout à fait une tablette, ni tout à fait un téléphone, ni tout à fait une télévision connectée. C’est un autre type de terminal, demandant une adaptation des applications.

D’une part, l’écran est figé dans le tableau de bord du véhicule, généralement au centre entre les deux passagers. Il est donc à portée de mains, mais à une certaine distance du conducteur. Il n’est pas possible de rapprocher l’écran pour lire les petits caractères. Un écran de véhicule doit utiliser des grosses polices de caractères et peu d’informations pour être exploitable par le conducteur.

Plusieurs technologies permettent de manipuler l’écran : la commande au volant, la reconnaissance vocale ou l’écran tactile.

Comme l’écran est relativement éloigné, il doit être manipulé à bout de bras. Il n’est pas possible de demander à l’utilisateur de cliquer précisément sur un petit bouton, sans risquer qu’il clique sur celui d’à côté. Les boutons doivent alors être très gros et peu nombreux. La précision du geste est réduite pendant la conduite à cause des vibrations. Toutes les solutions que nous avons étudiées proposent six icônes maximum sur l’écran.

De même, il n’est pas judicieux de demander à l’utilisateur de faire glisser son doigt sur l’écran pour dérouler une liste. D’une part, il ne pourra pas avoir la précision exigée, et d’autre part, il ne verra pas les informations qui défilent. Une approche à l’aide de deux boutons « haut » et « bas » est préférable.

Le glissement du doigt est envisageable s’il s’agit de changer complètement de page, mais pas pour faire défiler une information sur l’écran. Il est important de savoir que les technologies utilisées par les constructeurs pour les écrans tactiles ne permettent pas toujours un défilement sur l’écran (écran résistif) et encore moins l’utilisation de plusieurs doigts.

Les couleurs de l’interface sont également dictées par les contraintes de ce type d’usage. Les textes sont écrits avec une couleur claire sur un fond noir. Tous les constructeurs ont fait ce choix. Cela permet un usage la nuit et également en plein jour, car les constructeurs placent généralement les écrans à l’ombre du soleil. De plus, un trop grand contraste entre deux applications risque d’éblouir le conducteur.

Au niveau de la saisie de texte, il faut les limiter au maximum. Le clavier tactile n’est généralement pas efficace pour saisir un texte long. Demander à l’utilisateur de remplir un champ de formulaire ou un tweet à l’arrêt est acceptable. La saisie d’un email est plus discutable. Une reconnaissance vocale peut fortement aider à la saisie. Certains constructeurs proposent un clavier physique en option (Ford Sync).

De plus, il peut également y avoir des écrans complémentaires à l’arrière du véhicule ou côté passager (éventuellement avec un écran à prisme, pour présenter des informations différentes au conducteur et au passager). Les ergonomies et les contraintes ne sont alors pas les mêmes.

Certains véhicules haut de gamme proposent un écran complémentaire « tête haute », permettant au conducteur d’obtenir des informations sans quitter la route des yeux. Pour des raisons de sécurité, nous doutons que les constructeurs autorisent l’accès à cet écran par les applications.

L’image de la marque

Ces technologies sont l’image de la marque du constructeur. Des ergonomes et des designers ont choisi des animations, des icônes, des règles d’ergonomies spécifiques, qui sont imposées aux applications pour pouvoir faire partie de leurs places de marchés. Les applications doivent alors s’adapter à une zone utile bien plus petite que ce que l’écran propose. Il y a généralement des icônes et des zones imposées sur chaque écran pour les services indispensables.

N’oubliez pas qu’il s’agit d’abord de voiture. Il est important d’avoir accès rapidement à la radio, aux paramètres de confort comme le chauffage ou la climatisation, aux indicateurs du véhicule comme la charge de la batterie pour la propulsion électrique ou à l’affichage de la caméra de recul arrière.

Les applications doivent pouvoir être interrompues immédiatement, comme lors de la réception d’un appel téléphonique sur un smartphone. Il existe alors des applications prioritaires, que le système maintient en mémoire. Cela limite les ressources pour les autres applications.

Et pendant la conduite ?

Est-ce que toutes les applications peuvent être exécutées pendant la conduite ? Certainement pas ! Elles doivent, soit s’interrompre dès que le véhicule avance, soit proposer un mode ergonomique différent. Les OS se chargent souvent de tuer directement les applications si elles ne sont pas compatibles avec cet usage.

Une application de lecture d’emails peut les présenter à l’utilisateur lorsqu’il est à l’arrêt, mais doit utiliser la synthèse vocale lors de la conduite. Ce n’est pas si facile, car cela demande d’identifier la langue de chaque mail, pour utiliser le moteur de Text-to-speech adéquat. Comment lire un email rédigé en français avec une signature de cinq lignes en anglais ? Comment gérer les pièces attachées ? Et les images ?

Quelle ergonomie proposer alors au conducteur ? Il ne doit généralement pas toucher l’écran, au risque de sa sécurité. Il faut alors proposer une extension accrochée au volant comme le propose Parrot et/ou une reconnaissance vocale « in board ».

Pour les applications acceptées pendant la conduite (navigation, info trafic, radio, etc.), il ne faut en aucun cas solliciter une action du conducteur. « Dans 10s, le fichier est effacé. Cliquez ici pour annuler ». Aucun time-out ne doit être présent.

Les alertes applicatives doivent être discrètes pour ne pas inquiéter ou solliciter abusivement le conducteur.

Comment savoir que le véhicule roule ? Si l’écran est connecté au bus du véhicule, pas de problème. Sinon ? Cela peut se déduire d’une évolution des coordonnées de localisation. Est-ce possible dans un tunnel ou un parking ? Une forte vibration peut également être un signe.

Il faut prendre conscience que la responsabilité du constructeur peut être engagée à cause d’une application trop envahissante. Il s’agit d’un risque vital.

Plusieurs conducteurs ?

Il est loin le temps ou chaque membre de la famille n’utilisait que son propre véhicule. Chacun utilise  la petite voiture pour les trajets en villes et la grande pour les vacances. Des applications peuvent s’affranchir des préférences des conducteurs, comme une navigation GPS, mais d’autres doivent être adaptées à chaque conducteur, comme la lecture des emails. Il y a des contraintes de confidentialité entre les différents membres d’une même famille ou entre les conducteurs de la même entreprise.

Ces systèmes doivent alors proposer des technologies pour gérer différents profils, et pour permettre, soit la détection automatique du conducteur, soit un menu disponible à tout instant pour pouvoir signaler un changement de conducteur. Il est préférable d’exploiter le profil du conducteur pour hausser automatiquement le fauteuil et les rétroviseurs. Est-ce qu’une identification est exigée à chaque démarrage du véhicule ? Est-ce à l’utilisateur de fermer sa session ? Est-ce automatique à chaque ouverture de portière suivit d’une libération du fauteuil ? Et que faire en cas de vol du véhicule ? Cela doit pouvoir être paramétrable.

Cela doit être intégré dans l’application, ce qui n’est généralement pas le cas des applications pour tablettes ou smartphone.

Conclusion

Nous constatons que les ergonomies à proposer pour une application embarquée dans un véhicule sont différentes. Il n’est pas possible de transporter une application Smartphone ou Tablette. Des ajustements sont nécessaires.

Dans le dernier volet, nous traiterons des impacts pour le développeur d’applications.

Philippe PRADOS