Avec l’approche de management Lean, nous nous concentrons sur l’opérationnel quotidien des femmes et des hommes qui forment les entreprises. Et nous ne souhaitons qu’une chose : les aider à réussir leur journée. On pourrait ainsi avancer qu’avec le Lean nous préférons la transformation des petits matins à celle du grand soir.
A travers un exemple de première main, vécu en Ile-de-France avec une équipe de support au sein de la DSI d’un grand acteur du monde des Utilities, nous racontons ici comment ce système de management a aidé à créer les conditions de réussite d’une équipe pour des résultats significatifs : un gain de 71% de la production et un NPS collaborateur de +50 pour la démarche. Une histoire détaillée, pour rendre tangibles les ressorts profonds du Kaizen, organisée autour de la structure habituelle, qui nous est si chère, du PDCA (Plan Do Check Act). Le moteur de l’amélioration continue s'avère incidemment être une structure narrative alignée avec les principes du Storytelling : ce que l’on veut accomplir et les obstacles qui se présentent devant nous ; l’engagement pour surmonter ces obstacles ; la célébration de petites victoires ; les enseignements que nous en tirons.
Contexte
Nous sommes mandatés pour aider une équipe de support (12 personnes) traitant les demandes (incidents, tickets…) de milliers d’utilisateurs distribués au niveau national. Les clients sont mécontents, leurs tickets mettent un temps beaucoup trop long à être traités. Sur le terrain, cela signifie que des techniciens peuvent avoir des difficultés à dépanner certains usagers. En coulisse, côté équipe support, il peut exister une tension entre le niveau 1 (“N1”), en contact direct avec les utilisateurs et qui crée les tickets, et le niveau 2 (“N2”) qui rassemble les experts du support dédiés aux tickets plus complexes, laissant les simples au N1.
L’équipe, N1 et N2 confondus, ne parvient pas à absorber le flux entrant de demandes ce qui cause une augmentation régulière du stock, l’augmentation des délais et encore plus d’insatisfaction des collaborateurs.
Nous prenons un échantillon de 55 tickets qui ont été résolus lors d’une semaine donnée**.** Soit les processus sont maîtrisés, auquel cas cet échantillon est représentatif ; soit ils ne le sont pas et il y a de la variabilité dans les traitements : dans ce cas c’est déjà un problème et l’échantillon nous permettra de voir celui à l'œuvre cette semaine-là.
L’indicateur clé de la performance du processus
Sur ces 55 tickets, on observe que près des 2/3 (65%) ont un ratio TT/LT (Touch Time / Lead Time) qui est inférieur à 5%. Il s’agit là d’un excellent indicateur de performance de processus. Le Touch Time indique le temps durant lequel on travaille effectivement sur un ticket ; le Lead Time décrit le temps d’attente de bout en bout depuis la perspective du client.
Un ratio TT/LT < 5% signifie que 95% du temps perçu par le client est un temps d’attente. Seuls 12% des tickets ont un TT/LT supérieur à 10% (i.e. avec moins de 90% d’attente). C’est précisément dans ces temps d’attente à toutes les étapes du processus que se trouve un gisement d’optimisation sur lequel nous pouvons travailler.
Les nombreuses observations de type “Vis ma vie”, menées à côté des collaborateurs alors qu’ils traitent des tickets nous montrent le temps nécessaire pour leur traitement. On a ainsi vu un ticket qui a pris 14 minutes de traitement attendre 46 jours avant d’être traité !
Une autre observation montre qu’un des collaborateurs parcourt 8 tickets pendant l’heure de “vis-ma-vie” à ses côtés et n’en clôture aucun. Il nous expliquera que ces demandes supports sont un “tonneau des Danaïdes” un puits sans fond dans lequel, quels que soient les tickets que l’on traite, il en apparaîtra des nouveaux. Cette personne n'est pas en mesure de déterminer ses critères de réussite de la semaine ou de la journée.
Et puis, bien sûr, nous échangeons avec les clients. Ils nous apprennent que des problèmes sur les logiciels métiers leur font perdre du temps pour servir les clients ; que les collaborateurs de terrain ne peuvent pas faire leur métier car leur équipement rencontre des problèmes ; qu’ils résolvent parfois les problèmes eux mêmes sur l’outil qu’ils utilisent tous les jours car on ne répond pas à leur demande d’aide pour les dépanner.
La situation est préoccupante mais pas désespérée : nous voyons ce type de problèmes chez de nombreux clients.
Nous partageons tous ces sujets avec l’équipe et la direction dans une session d’échanges rapides et de négociations basées sur des éléments factuels et chiffrés. A l’issue de cette session, nous nous mettons d’accord sur ce que les équipes souhaitent réussir :
En se prêtant à cet exercice, l’équipe a clarifié les conditions de la réussite.
Plutôt que suivre chaque semaine ce qu’il reste à traiter suite à nos actions (un indicateur rétroviseur ou lagging indicator), nous allons utiliser ce que Tracey et Ernie Richardson appellent dans leur excellent ouvrage "The Toyota Engagement Equation" (1) un leading indicator, que l’on pourrait traduire par indicateur pare-brise. Puisque notre objectif est de sortir 80 tickets par semaine, nous allons au quotidien nous organiser pour en sortir 16 par jour. Et chaque jour, la manager demandera à chacun si elle ou il a une vision claire sur les tickets qu’elle ou il doit sortir et s’il y a des obstacles qui pourraient l’en empêcher.
En clarifiant le challenge (quels 16 sort-on aujourd’hui ?) on permet deux choses :
Lorsque l’on doit traiter un stock, on ne sait jamais trop comment s’y prendre. Le lean propose une stratégie d’une suprême simplicité : la stratégie simple/complexe**.** Ce que nous dit cette approche est que si l’on veut résorber un stock, il faut :
Lorsque chaque jour l’équipe choisit les 16 tickets, elle garde à l’esprit qu’elle doit privilégier les tickets simples.
L’équipe utilise un outil qui permet de capitaliser dans une base de connaissance les procédures à suivre pour résoudre des tickets simples ou encore les informations nécessaires à renseigner dans un ticket lors de l’assignation depuis le Support Niveau 1 (au contact du client) vers le Support Niveau 2 (les experts en back office).
Malgré cet outil, les N2 sont frustrés car ils ont de nombreux tickets qui ne sont pas correctement renseignés par le N1 en entrée. Cela leur fait perdre du temps et nécessite de nombreuses recherches : une activité à faible valeur ajoutée. Ils ont consacré du temps à créer des éléments dans la base de connaissance (des KBs, pour “Knowledge Base”) et ne comprennent pas pourquoi ceux-ci ne sont pas utilisés par le Niveau 1.
Une recherche spécifique, sur le terrain, va nous apprendre deux choses. La première est qu’une des KBs, bien que soumise par l’expert du N2 depuis trois semaines n’est toujours pas validée ni mise en ligne pour le N1. Le processus de validation est plutôt long et plusieurs éléments sont ainsi en attente de publication depuis plusieurs semaines.
La seconde chose que nous constatons est ce type d’épiphanie qui nous fait profondément aimer ce métier de coach Lean.
Nous organisons un atelier entre une représentante N2 - Sophie (2_) - et une représentante N1 - Inès (2). Sophie souhaite dans cet atelier clarifier les attentes des N2 lors de l’ouverture d’un ticket par les N1. La discussion restant à un niveau théorique en parcourant un document, Inès propose alors cette idée d’une belle évidence : “ouh là c’est trop compliqué là, je vous propose d’ouvrir un ticket et ainsi on pourra discuter de tout cela en faisant.” Et là, Sophie qui travaille sur cette activité depuis 2 ans découvre quelque chose : le support N1 utilise les KBs pour pré-configurer automatiquement le contenu du ticket ouvert en fonction de l’application sur laquelle porte la demande. Pour l’application ABC (3), la KB 123 est automatiquement chargée ; pour l’application IJK (3) _la KB 456 est chargée ; pour l’application XYZ (3)_, c’est la KB 789. Et Sophie réalise alors que si la KB 123 est effectivement liée à l’application ABC_ ce n’est pas celle qu’il faut pour l’ouverture d’un ticket mais la 134.
Au terme de cet atelier qui a duré seulement 20 minutes, et grâce à la décision de Inès de faire alors que l’on échange, Sophie a compris une étape clef du processus et Inès a pu voir que les mauvaises KBs étaient utilisées pour les modèles d’ouverture de ticket. Une passe sur les 28 problèmes ouverts à ce sujet sur les deux dernières semaines montre que 70% sont dus à cette utilisation de mauvais modèles à l’ouverture.
Grâce à cela, en quelques jours les modèles sont modifiés, le nombre de rejets pour manque d’information s’est amélioré (voir la partie “Check”) mais, surtout, Sophie et le N2 portent un regard différent sur le travail des N1 : ce n’était pas de la mauvaise volonté ou de la négligence de leur part : ils n’étaient pas mis en situation de réussite. L’apport inestimable du Gemba (le terrain, là où se construit la valeur), qui nous permet de remettre en cause nos fausses croyances.
Au terme de l’accompagnement nous faisons un point d’étape avec l’équipe et la direction et mesurons les progrès de l’équipe :
Il reste cependant deux indicateurs sur lesquels l’équipe doit encore travailler :
Il y a cette légende à Hollywood selon laquelle lorsqu’un producteur reçoit un scénario, il va lire la dernière page pour voir dans quelle mesure l’histoire a transformé les personnages principaux. Sans transformation des personnages, le projet de film a peu de chance de voir le jour.
Ce qui résonne tout particulièrement avec le Lean : Art Byrne, l’auteur de “Le Virage Lean” (4) rappelle ainsi que la question principale que doivent avoir à l’esprit les coachs et managers Lean est la suivante : qui doit apprendre quoi pour réussir ? Nous constatons trois enseignements principaux au terme de cette mission d’accompagnement :
Il reste évidemment des chantiers à mener pour réduire le flux entrant en travaillant sur les processus amonts mais la démarche vertueuse est lancée.
Et vous, comment créez-vous les conditions de réussite quotidienne de vos collaborateurs au sein de votre entreprise ? Quels résultats obtenez-vous ?