La révolution technologique de la grammatisation a utilisé le concept de grammatisation que l’on peut reprendre pour décrire le processus qui consiste à découper en parties, à discrétiser, un flux : par exemple le flux de la parole qui est découpé en phonèmes puis en lettres alphabétiques pour être couché sur le papier. Idem pour les enregistrements et l’écriture des sons par le gramophone, les mouvements par le chronographe et le cinématographe.
Avec les écritures numériques, c’est non seulement tous les enregistrements qui sont portés sous un format universel mais aussi la possibilité d’engrammer des comportements et des relations (le web des réseaux sociaux). Il est normal que la transformation digitale commence la plupart du temps dans le champ de la relation client.
Evoquons ensemble Jean-Marie Dru, président de TBWA : il a fait naître le concept de disruption, en France.
Sa spécialité était de redresser des organisations qui allaient mal et, pour y répondre, de trouver des stratégies de rupture qui sortent du cadre. Avec le succès de la démarche, celle-ci s’exporte aux Etats-Unis qui cherchent à traduire le terme « stratégie de rupture ». Le terme choisi est celui de « disruption ».
Si l’on évoque le dilemme de l’innovateur théorisé par Christensen, elle nous apparaît comme une version plus « fade » des propos de Jean-Marie Dru.
Dans les deux cas, quand ces derniers évoquent comment mettre en œuvre des démarches de rupture, ils sont assez aveugles de la question de la technique. Par exemple, dans les ateliers « What If… », la technique est peu présente comme source de disruption.
In fine, même ceux qui ont pensé la disruption ont refoulé l’importance et le statut de la technique.
Pour nous, il y a toujours au départ une technique. C’est elle qui permet de changer la donne. Par exemple, le cheval de Troie est un objet technique, astucieux. Est-ce que Troie est une épopée épique ? De guerriers ? Oui, mais n’oublions pas que la technique est la clé de la prise de la ville.
Il y a aujourd’hui une échelle de la disruption qu’instrumente l’écosystème des startups pour créer un choc auprès des acteurs en place, et cette échelle est celle de la technique. On connaît bien les discours de levée de fonds auprès d’un investisseur : « J’ai la technologie qui peut tout changer... ».
La Silicon Valley a un rapport attentif et sacré avec la technique, un rapport beaucoup plus fort avec le statut de la technique et donc de la disruption. En France, le clone de la disruption, c’est les barbares qui attaquent vos modèles d’affaires, « Aucune filière n’est épargnée ! ». La réalité en France, c’est que les acteurs travaillent, non pas pour aider à créer une rupture dans la stratégie des acteurs en place, mais juste à offrir un petit frisson à ces acteurs. Les clients de The Family par exemple sont les entrepreneurs, les potentiels licornes.
Depuis 1 an, les US connaissent le blues des licornes. Ceux qui ont réussi, se disent, « Je ne me reconnais plus dans ce monde. Cela ne va pas dans le sens de ce que j’attendais. »
Chez OCTO, nous sommes convaincus que la technique, c’est un pharmakon ; à la fois, le poison et le remède. La technique peut avoir des vertus thérapeutiques comme toxiques. La question n’est pas de savoir s’il faut être pour ou contre. La question est de savoir ce qu’on en fait, bref de décider.
« J’ai la recette de la transformation mais je n’y arrive pas ». « Je respecte la consigne pourtant je n’y arrive pas ». Quand on livre une recette, il y a une part d’informulé et de non dit, et le problème est qu’aujourd’hui, la technique est passée sous silence. Quel statut accordons-nous, dans nos entreprises, à la technique ?
Selon Christian Fauré, il y a un véritable refoulement du statut de la technique dans les organisations. Le refoulement est un mécanisme de défense disait Freud. De manière collective et « mainstream », il y a un énorme refoulement de la technique. La technique est considérée comme de l’intendance, et l’on se contente d’avoir une stratégie puis de l’implémenter techniquement. On ne part jamais de la technique pour se poser la question de la stratégie. Le résultat est toujours une stratégie qui est « hors sol ».
Commençons par Culture Code : ce livre blanc réalisé par OCTO s’adresse aussi aux managers, et pas uniquement aux développeurs. Certains chapitres leurs sont même explicitement dédiés. « Better Place With Better Code » : nous y voyons un renversement de priorité.
Il est possible de poursuivre par des séminaires collectifs : pour donner la graine, et non pas uniquement se former.
Pour aller plus loin, on peut également travailler sur sa culture et chercher à la hacker, à pratiquer le culture hacking. La culture est une force de rappel puissante. Le Culture Evidencing participe aussi à cette transformation pour éviter d’entretenir des situations qui dysfonctionnement en cherchant initialement à les résoudre.
D’une autre manière, les ateliers d’idéation « What IF » sont une forme de travail collectif qui peut être sollicitée pour faire l’expérience de cette révolution copernicienne, qui place le technique au tout premier plan.
Enfin, les tech trends et leurs analyses représentent des sources d’information qu’il faut savoir lire et interpréter.
Une des difficultés majeures de la transformation et de l’innovation, c'est que personne n'est contre. Personne ne peut être contre l'innovation ! Et en même temps, très peu d'organisations sont réellement prêtes à introduire puis diffuser quelque chose de nouveau dans quelque chose d'établie. Quelles sont les conséquences de vouloir sans être prêt, sans savoir ce que l'on cherche ? Quelles sont les intentions ? Les motivations de l'innovation ? Pourquoi je cherche à innover autrement ?
Fondamentalement, notre conviction est qu'on ne peut pas innover de manière transformante en étant emprisonné par une certaine manière de faire, de travailler. "Quand on a qu'un marteau, on voit tous ces problèmes comme des clous". Il faut donc à la fois développer une autre manière de faire en étant conscient des conflits potentiels que cela peut générer et la prise de risques que cela représente.
Le volume 1 se termine sur la question de l’éthique technologique autrement dit l’éthique des hackers.
Qu’est-ce qu’on entend par « Ethique » ? Ce n’est pas la question du bien et du mal. Revenons au sens premier « Ethos » ; les comportements routiniers, les us et coutumes chez les grecs. Comment il se comporte au quotidien ? On ne connaît vraiment quelqu’un que quand on le voit au quotidien.
Le monde aujourd’hui n’est plus un système naturel. Nous sommes plongés profondément dans la technique. On ne doit pas refouler la technique. Sinon, la technique rend le monde immonde. Quel rapport peut-on avoir avec les objets techniques au quotidien : un rapport d’empathie ? Il nous faut creuser dans notre quotidien notre rapport à la technique et y découvrir notre éthique technologique.
Le volume 2 sera axé sur la question des styles d’architecture. Un style est un système de contraintes que le système doit pouvoir respecter.
Le digital a grammatisé l’ensemble des interactions et des relations. Depuis, toute forme d’interaction produit des données, de plus en plus en continu, sous forme de flux.
Cette transformation implique d’adopter un style d’architecture qui permette de faire face au flux. Ce point explique l’émergence des produits de « data flow ». Aujourd’hui, même les utilisateurs sont pris dans le flux. Cette logique de flux de données pose la question de la collecte de ces données et cette question influera le style d’architecture dont vous aurez besoin.
La tentation serait alors de vouloir résumer le digital à une question d’ingénieur. Ce n’est pas une question d’ingénieur. L’important est de comprendre les styles d’architecture et leurs implications, à tous les niveaux de l’organisation.
Autre exemple de style, cette fois dans le design et l’ergonomie, c’est la question de l’affordance. L’affordance c’est l’évidence de l’utilisation d’un produit, d’un logiciel etc. Par exemple : les poignets de portes sont souvent affordantes. Les jeux vidéo sont devenus affordants, « on apprend à jouer en jouant ». Chez Apple, il existe des mécanismes d’affordance. Dans ce style de logiciel, il n’y a plus de documentation ou de formation.
Le style, c’est le soleil noir de nos organisations. La question, c’est de « trouver votre propre style ».
Notre conviction : prenez des recettes et inventez votre propre style !