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Selon Schumpeter, le caractère cyclique de l’économie ne provient ni des transformations sociales, ni des évolutions démographiques, ni des variations de la monnaie. Il trouve son origine dans l’innovation.
Les innovations radicales ou majeures peuvent profondément bouleverser l’équilibre économique et initient un processus de destruction créatrice.
L’innovation est également étroitement liée à une invention sous-jacente qu’il ne faut pas oublier. L'innovation se distingue de l'invention par un passage à l'échelle, à savoir l'adoption ou la diffusion massive des effets de l'invention (pensons à l'invention du dentifrice, qui ne devint une réelle innovation qu'avec son adoption très large et ses impacts sur la santé publique). L’enjeu de l’innovation n’est donc pas seulement de trouver des idées, mais de réussir l’adoption par le plus grand nombre et de juger de leur réussite par leur rencontre avec un public et un marché.
Mais gardons-nous de penser l’innovation comme la nécessité d’être génial ou d’avoir une grande idée lumineuse. Linus Torvalds ne dit pas autre chose : « Les discours sur l'innovation de l'industrie sont des conneries (bullshit) », « N'importe qui peut innover, penser différemment », « 99 % de l'innovation provient du travail réalisé ».
Il est ainsi absurde de séparer les “innovateurs” de ceux qui travaillent (il faut être “hands-on”) car l’innovation se trouve à travers les actes du quotidien et la mise en oeuvre de petites innovations incrémentales.
Cette valeur travail au sein d’un collectif se retrouve dans la Hacker Ethic des années 2000.
C’est pourquoi l’Innovation perdue ressemble beaucoup à cette nouvelle d’E.A. Poe La lettre volée, objet de tant de recherches et supputations, associé inconsciemment à une énigme cachée, alors que cette lettre se trouve en évidence sous les yeux et au milieu de tous.
Afin de nous faire prendre le recul nécessaire et comprendre l’ensemble des concepts véhiculés dans ce terme d’Innovation, Vincent Bontems, chercheur en philosophie, nous rappelle lors de la conférence USI 2016 que le terme Innovation vient du latin innovatio ou innovare qui signifie « revenir à », « renouveler » mais à l’identique, ainsi qu’à l’époque gréco-romaine, où ce terme s’appliquait dans le monde juridique pour désigner l’ajout de clauses supplémentaires dans des contrats existants.
Littéralement, Le Petit Robert nous rappelle que “Innover, c’est introduire quelque chose de nouveau dans une chose établie”
Du monde juridique, la notion se retrouve dans la sphère politique dans Le Prince de Machiavel (1532). Il n’utilise pas le mot innovation mais le mot innovateur, en expliquant comment prendre le pouvoir et comment le conserver, en se formant une représentation des opportunités et des risques que cela représente.
Ainsi présente-t-il deux manières d’agir : l’une est prudente, prévisible, respectueuse des coutumes, en avançant de manière graduelle. L’autre, brusque, violente, apporte des ruptures, et c’est celle-ci qu’il appelle Innover.
Machiavel indique cependant que les circonstances changent, et qu’il y a des moments où il faut innover (crise, ouverte ou latente) et d’autres où il faut s’en abstenir (période de stabilité). Pour Machiavel, innover, c’est “penser comme un renard”.
Un autre philosophe, Francis Bacon (1561 - 1626), nous propose deux analogies quand il parle "des innovations" :
Le plus grand des risques serait de ne jamais innover, ce qui se retrouve dans l’idéologie moderne de l’innovation « que le temps joue contre nous », « que les progrès de la science doivent se convertir en bien-être ».
Pour résumer et nous situer dans le temps, regardons du côté de Marc Giget (speaker à l’USI 2013) qui constate qu’à différents moments de l’histoire il y a des grandes vagues d’innovations, des cycles qui se terminent par des moments de synthèse créative issue de l’accumulation des révolutions scientifiques et technologiques qui la précédent. De plus, ce moment se caractérise par le fait que les innovations sont alors centrées sur le progrès pour les hommes et les femmes.
Une telle synthèse a eu lien en 1920 (apparition de l’électricité, de l’automobile, de l’aviation …) et nous vivons actuellement la suivante mais sans en avoir les repères puisque nous n’avons pas vécue la précédente, bien que nous en pressentions la force et l’amplitude par l’émergence et la fulgurance de la vague digitale où les métiers sont réinventés, les business models chamboulés...
Src : Marc Giget USI 2013
Aujourd’hui, ce sont donc bien ces caractéristiques qui se retrouvent dans la “transformation digitale” qui fait de notre époque un pic d’innovation en tant que synthèse créative. Le livre Digital Studies écrit par Christian Fauré en donne un cadre d’interprétation en montrant ce que ces techniques de l’écriture, leur pouvoir de captation, de stockage et de diffusion ont comme impact sur les relations humaines, les sentiments et les rapports entre les marques et leurs utilisateurs.
Même si l’innovation ne se limite pas au digital, elle en est très dépendante de par cette omniprésence et le caractère essentiel de cette nouvelle “relation à l’utilisateur”.
Au-delà de certains outils, qui y contribuent dans un second temps, comme le marketing, il faut avant tout partir des besoins réels, de problèmes existants ou de services inexistants, en bref des vraies douleurs de vos clients ou utilisateurs. “Une bonne douleur vaut mille fois plus qu’une bonne idée”, ce qui se retrouve au centre du modèle Lean Canvas qui associe client et problème(s) et maximise ainsi les chances d’adoption de l’innovation.
N’apportez pas à vos clients ce qu’ils veulent mais ce dont ils ont besoin ; soyez anthropologues de vos clients ou collaborateurs en étant sur le terrain.
Ensuite, s’offrent à vous deux manières d’innover pour répondre à ces douleurs et besoins :
Ce processus d’innovation va se confronter à des “résistances naturelles”, car ce changement et les modifications qu’il implique, entrent en conflit avec l’équilibre existant comme le décrit la systémie et son modèle de défense “immunitaire”.
Les phrases comme "On a déja essayé", "On ne fait pas comme ça ici", "Ca marche bien ici" sont autant de réactions du système établi qu’il faut contourner.
Innover est donc difficile, lent et coûteux à titre individuel et personnel. Donc plus les innov’acteurs seront “indignés”, plus la “douleur à résoudre est forte”, plus la motivation à innover sera à la hauteur de l’enjeu.
Cet état d’esprit vient se combiner avec la nécessité pour l’entreprise de créer des espaces protecteurs ou zones franches (type Labs) pour ces innov’acteurs (cf. analogie F. Bacon) qui permettront aux nouveaux produits ou services de croître, de se confronter aux premiers clients et enfin, de valider la traction du marché avant peut-être d’emmener cette innovation jusqu’au core business.
Les entreprises leaders sur un marché sont en général renforcées par l'innovation continue, mais en période de crise, les innovations de rupture favorisent les nouveaux entrants.
Ce “dilemme de l’innovateur” théorisé par Clayton Christensen résume le conflit qui oppose les activités historiques (les plus rentables à consolider) et les nouveaux relais à trouver (incertains, mais sources de futurs revenus), ce qu’on peut exprimer en
“Si je mise trop tôt sur le futur je me mets en danger, si je tarde trop, je rate l'opportunité”. C. Christensen propose donc d’allouer de nouvelles ressources, processus et valeurs pour explorer et comprendre l'incertain, indépendamment de son marché actuel et d’organiser son portefeuille d'innovations selon 3 horizons :
Chacun de ces horizons sera soutenu par une organisation, du personnel, des mentalités et des indicateurs qui lui sont propres :
Chacun d'entre nous peut (doit) être innovant. "C'est vous qui êtes l'énergie de l'innovation !" Il s’agit simplement d’identifier ses propres compétences, sa zone d’intervention dans le processus d’innovation puis de s’entourer de collègues au profil complémentaire pour constituer l’équipe.
Ces différents profils types ont été résumés par Tom Kelley, de IDEO, sous la dénomination des “10 faces of innovation”. Parmi ceux-ci, nous en citerons trois souvent indispensables dans la réussite du processus d’innovation :
Enfin, le processus d’innovation demande de passer de la logique causale à une logique d’effectuation. La première, à laquelle nous sommes habitués (ancrée dans une logique déterministe) définit la cible pour en déduire les moyens et le planning nécessaires à sa réalisation, alors que l**’effectuation consiste à partir de ce qui est à disposition**, être créatif, dérisquer immédiatement et réaliser des prototypes (maquette, pitch, vidéo, produits...) afin d’apprendre en permanence, bref innover sous contraintes.
L’expérience d’OCTO démontre que quatre types de postures ou regards complémentaires peuvent faire grandir les innovations :
D’autres acteurs “catalyseurs” de l’innovation ont également témoigné dans ce petit déjeuner sur l’innovation au quotidien dans leur organisation, pour nous proposer les take away suivants.
Laurent Ovion, Dirigeant de la société Efidin et ancien responsable innovation chez Crédit Mutuel Arkea
Joëlle Gouraud, Responsable d'une équipe au contrôle de gestion et membre de la communauté digitale (DREAM) de Natixis Asset Management :
Frédéric Flèche, R&D ITS - Business partner pour l'unité des sciences translationnelles chez Sanofi
Un talk de Scott Berkun résume le sort de l’innovation et l’illustre par l’expérience au sein de 3M et l’anecdote qui a permis à son CEO William McKnight de s’y convertir.