A Agile France, Jean-François Hélie et moi-même avons présenté plusieurs pratiques issues du coaching d’équipe que nous transmettons maintenant aux équipes agiles. Bien que certaines soient réservées à des coachs aguerris, deux sortent du lot car elles sont applicables facilement par toute équipe : les rôles délégués, et le debriefing.
La dynamique d’un groupe n’est pas un concept ésotérique : elle peut être décrite factuellement, sans jargon particulier. Cependant, il est préférable d’être dans un contexte plus simple que le déroulement quotidien du projet pour l’observer et pour agir dessus. Les réunions d’équipe sont des lieux privilégiés pour cela : tout le monde, au même endroit, en même temps, occupé à une même activité. Les rétrospectives sont évidemment l'espace idéal pour observer et agir sur la dynamique de votre équipe.
Nous ne discuterons pas ici des caractéristiques d’une équipe mature, mais nous centrerons sur quelques observations qui permettent de l’apprécier :
Ces points permettent d’observer la capacité des participants à se coordonner, à réfléchir en groupe, et à prendre des décisions.
Une fois ces éléments d’observation posés, voici les pratiques que nous proposons pour les améliorer :
Nous avons souvent observé que le Scrum Master portait la responsabilité du bon déroulement des rétrospectives : problèmes exprimés, solutions trouvées, décisions prises, tout cela dans les temps et dans une ambiance dynamique. Il fatigue. Ca passera probablement avec le temps, l’équipe va s’éduquer et progressivement intégrer les principes de comportement qui rendent la réunion efficace. Mais ce temps peut prendre entre quelques semaines et plusieurs mois ; c’est trop.
Nous proposons d’intégrer une pratique issue du coaching d’équipe de direction appelée les «rôles délégués» (réf : Coaching d’équipe, Alain Cardon). Il s’agit de distribuer au sein de l’équipe 3 rôles habituellement dédiés au coach ou à l’animateur.
Les 3 rôles à distribuer :
Lorsque l’équipe prend une décision, il la reformule et la retranscrit sur une feuille lisible par tous ; il diffuse ces décisions juste après la réunion.
Exemple d’interventions :
On l’appelle aussi le «pousse-décision» car il pousse le groupe à choisir.
Il s’assure simplement que l’équipe a un cadre de temps et lui indique le temps qui reste, par exemple toutes les 5 minutes.
Comme on le voit, ce n’est pas un «gardien» du temps, il laisse le groupe faire ce qu’il souhaite avec le temps mais le tient simplement informé.
Parfois appelé «méta» ou «coach de séance», il observe la manière dont se déroule la réunion (cf observations précédentes). En cours de séance, s’il sent que cela peut aider la réunion, il peut faire part de ses observations. A la fin de la réunion, il fait une synthèse de son observation au groupe, et donne des options d’amélioration. Exemple d'observation :
On note que ses interventions d’observateur se limitent à restituer au groupe ce qu’il observe sans poser de question, qu’il parle généralement à la première personne («je vois...», «j’observe...» , «j’ai l’impression...»), et évite les généralités (pas de «tout le monde», «on»). Bien entendu, il peut participer normalement aux sujets.
Enfin, lorsque l'équipe monte en maturité, ce rôle peut devenir plus interventionniste : proposer des options pendant le déroulement de la réunion, suivre un axe de progression identifié dans une séance précédente, etc.
Les rôles sont proposés en début de réunion ; la seule contrainte est qu’ils tournent à chaque fois entre les participants, et que chacun essaye tous les rôles -ce qui arrive plutôt naturellement.
Les équipes a qui nous avons fait utiliser cet outil dès le début d’un accompagnement agile ont atteint très rapidement une maturité que nous n’avions pas vue auparavant. Sans en faire une thèse, voici quelques bénéfices :
Après quelques itérations, chacun fait des recadrages dès qu’il le sent nécessaire, et un suivi s’installe : «Il est déjà 11H25, là, je suis pas sûr qu’on règle ça dans les temps» ; «On s’écarte pas du sujet, là ? On toujours pas décidé, pour la mise en prod.» ; «Les intéressés sont pas dans la pièce, on devrait peut-être zapper le sujet».
L’effet est quasi mécanique : les rétrospectives sont beaucoup plus courtes, les groupes passant souvent de 2H à 1H. Encore une fois, une équipe expérimentée y arrive aussi, mais depuis l’arrivée des rôles délégués, nous voyons l’effet au bout de 2 ou 3 itérations.
Avez-vous déjà eu l’impression que la rétrospective commence lorsqu’elle doit se terminer ?
Le groupe passe une heure ou deux à échanger mollement sur des sujets qui ne passionnent pas. Vous -Scrum Master, facilitateur ou coach- sentez un non-dit, mais ce n’est pas à vous d’y confronter le groupe s’il n’est pas prêt. Alors que les participants vont se lever pour quitter la rétrospective, Aurélien, un équipier, fait une remarque sur un point particulier. Les autres réagissent, se lâchent ; suivent 45 minutes de conversation intense sur des sujets cruciaux.
Le principe du débriefing systématique est d’anticiper cette discussion post-réunion et même de la systématiser.
Cette pratique est très facile à mettre en place, et sa facilitation assez légère. Voici les (rares) recadrages que vous pourrez faire :
Concrètement, vous verrez des échanges et une progression de la réflexion au travers de ce debriefing : certains rebondiront sur les observations précédentes. L’objectif de cette pratique est d’amener l’équipe dans une réflexion «méta» : au travers du fonctionnement de la réunion, c’est sur son fonctionnement en général que l’équipe agit. C’est un moment d’échange et pas d’analyse cérébrale (pas de «problème / cause / contre-mesure»)
C’est peut-être face aux non-dits que cette pratique nous a prouvé son intérêt. Ces 10 dernières minutes sont la flèche du Parthe : elles vont dénicher les sujets qui fâchent avec beaucoup plus de subtilité que les protocoles trop explicites de rétrospective. De plus, en formant un rituel de clôture, les rétrospectives sont beaucoup plus cadrées en terme de temps.
Plus percutantes et plus à l’heure, pourquoi s’en passer ?
Après un an d'application, notre bilan est net : pour les équipes où nous avons systématisé les rôles délégués et le debriefing, les équipes atteignent dès 2 ou 3 itérations la maturité qu'on attendait d'elle en fin d'accompagnement (6 à 8 itérations), en terme de communication, de prise de décision, et de proactivité.
Ces apprentissages ne sont pas oubliés lorsque l'équipe sort de réunion, et accélèrent sa progression sur les autres axes agile : acquisition des pratiques techniques, mise en place d’outils de développement, échanges avec le PO, rapports avec la direction de projet, etc.
Ces pratiques sont à la base prévues pour du coaching d’équipes de direction ; pourquoi ne pas les offrir aux équipes des autres «étages» de votre organisation ?
Si vous les mettez en œuvre, faite-nous part de votre expérience dans les commentaires.
Les rôles délégués sont documentés dans «Coaching d’Equipe», d’Alain Cardon. Vous pourrez trouver des références à des pratiques supplémentaires dans les slides de notre session à Agile France.
Nous y abordons certaines pratiques plus avancées qui demandent une formation au coaching avant d’être utilisées en toute sécurité sur une équipe. Le coach a un mandat lui permettant de produire des changements forts, qui peuvent s’avérer risqués si mal appliqués ou s'ils sont inappropriés dans la situation vécue par l'équipe. Afin de rester dans les limites que vous maîtrisez, apprenez à cadrer votre pratique, et échangez régulièrement avec des coachs agiles aguerris.